La nature nous appelle, la nature nous rappelle...
Il y a des coïncidences, il n'y a pas de hasard. Je n'ai jamais su trancher, je préfère la tolérance du laisser-aller, du vivre, de l'écoute et du temps présent. Je viens de finir "Sur les chemins noirs" de Sylvain Tesson et j'imagine que mes vacances à Mornac-sur-Seudre vont donc bien commencer. Comme les prémisses d'une profonde respiration. Nous sommes le 12 aout 2017 : la dernière trace de la civilisation au vestiaire... je ne regarderai plus la date, l'agenda, les chiffres et les minutes. Pas de promesses, mais des souhaits. Les vacances sont bien là, derrière la porte d'entrée, à côté de la rose trémière sortie d'un vieux bitume craquelé, que les touristes prennent en photo sur les traverses blanches et bleues. La vie nous bride, mais l'espace environnant reste toujours présent, si tant est que l'on sache prendre ce temps, lent, différent. La photo est aussi le temps des vacances, elle "instantanéise" ce que - toute l'année - nous ne savons plus apprécier. Le temps de la balade à vélo dans les marais environnants du Clos Du Puits Doux en fait partie. Les chemins noirs de Mornac sont faits de sillons creusés par l'homme et le fleuve.
Lucian et moi enfourchons nos engins à deux roues, le vent est fort, les mollets appuient, mais le sourire est présent, les poumons se gonflent, conjurant l'effort. Nous empruntons, rituel immuable, cette petite route de Chaillevette, longeant sinueusement la Seudre nous laissons le charme agir, hors des routes goudronnées. Nous ne savons plus - ici - le sud et le nord, nous allons vivement dans les traces d'un passage qui nous amène vers des destinations inconnues. Le chaos des cailloux, des trous et des fossés heurtent nos véhicules à calories musculaires, mais nous n'en sommes que plus heureux de reprendre corps. Quelques badauds cueillent déjà des mûres dans les buissons épineux, des mûres qui ne semblent pas si mûres pourtant. Je m'arrête et je comprends que nous avons besoin de cette mémoire. "Lorsque j'avais ton âge, manger ces fruits au bord des routes m'annonçait la fin des vacances. je savais que je devrais bientôt partir à Paris et reprendre le chemin du collège." Lucian me regarde mais ne m'écoute pas, il n'a qu'une envie, goûter au fruit noir : "mais nous ne sommes pas à la fin des vacances." Ma mémoire inquiète mon fils, non, nous ne sommes - en effet - qu'a l'amorce de ce temps béni de la pause. Le soleil a joué quelques tours à la nature cette année.
Il abandonne le vélo dans les hautes herbes et se laisse lui aussi piéger sans défense dans l'immobilisme du paysage. La balade se poursuit, nous nous enivrons des odeurs de la marée basse, nous nous freinons régulièrement face aux oiseaux et pour s'étonner des couleurs froides et lessivées entre ciel et terre. "Regarde, on voit le clocher au loin, c'est magnifique, prend une photo." Son interpellation me remplit de joie, il partage lui aussi cette simplicité. J'aimerai qu'il l'écrive, peut-être plus tard, puisant dans ses souvenirs d'enfance, plus tard, quand je ne serai plus là. Qu'il se rappelle lui aussi. Quels souvenirs frabriquons-nous de nos échanges ? Avec quel prisme les intensifions-nous ? C'est le mystère du chemin et de l'amour, les deux trajectoires peuvent se croiser et rester accrochées le plus longtemps possible. J'en fais le voeu.
Nous faisons alors la course vers des objectifs dérisoires : le panneau "passage privé", la butte et le petit pont deviennent les témoins de nos exploits. On s'imagine des serpents et des impasses, la nature appelle ces peurs enfantines. La nature me rappelle.